La santé mentale au travail des professionnels en génie sous la loupe

Les problèmes de santé mentale au travail n’épargnent pas les professionnels du génie, alors que près de quatre sur dix disent avoir éprouvé des difficultés à ce sujet au travail au cours de la dernière année.

Stress intense, fatigue extrême, sentiment d’être dépassé par la tâche, symptômes dépressifs ou autres : 38 % des répondants à la plus récente enquête sur la rémunération menée par Genium360 ont indiqué avoir vécu l’une de ces manifestations entre 2022 et 2023. Les données montrent aussi que les femmes (49 %) sont beaucoup plus affectées que leurs collègues masculins (36 %).

Un écart qui pourrait s’expliquer, entre autres, par la charge familiale plus grande qui repose encore sur les épaules des femmes, analyse Camille Lin, CRHA, consultante en ressources humaine et formatrice spécialisée sur la prévention des risques psychosociaux au Groupe-conseil Perrier. « Souvent, on tente de séparer la vie professionnelle et personnelle, mais c’est impossible. Les deux s’imbriquent. La répartition traditionnelle des responsabilités familiales constitue donc un facteur de vulnérabilité pour celles-ci », avance-t-elle.  

Sans se prononcer spécifiquement sur le secteur du génie, la spécialiste mentionne que d’autres facteurs pourraient aussi expliquer cette différence entre les sexes. « Dans les milieux de travail en général, les femmes sont parfois amenées à vivre du sexisme, du harcèlement ou de la discrimination. C’est un incubateur de souffrances pour elles. »

Les plus jeunes plus touchés

L’enquête sur la rémunération des professionnels du génie révèle en outre que les jeunes sont plus nombreux à éprouver des difficultés en lien avec la santé mentale au travail, comparativement à leurs collègues plus âgés. La proportion atteint 40 % chez les travailleurs de 18 à 34 ans et 43 % chez les 35 à 44 ans, alors qu’elle est de 38 % chez les 45 à 54 ans et de 31 % chez les 55 ans et plus. Cela pourrait s’expliquer entre autres par le fait que c’est à cet âge que correspond souvent le moment où ils ont de jeunes enfants, souligne le rapport.

Les travailleurs sont aujourd’hui plus alertes en matière de santé psychologique, note Camille Lin, ce qui peut aussi influencer ces chiffres. « On parle beaucoup plus de santé mentale qu’avant, si bien qu’aujourd’hui, on comprend mieux ce que c’est, de quelles façons cela peut nous affecter ou pas. » Les jeunes sont aussi plus conscientisés et à l’aise de parler de ces enjeux, ajoute-t-elle.

Du soutien en entreprise

Dans l’ensemble, 78 % des professionnels du génie interrogés mentionnent que leur employeur a mis en place des mesures afin de les soutenir face aux problématiques de santé mentale, une proportion toutefois nettement plus élevée pour les employés du secteur public (94 %) que ceux du secteur privé (75 %). Par ailleurs, 68 % disent se sentir adéquatement soutenus par leur employeur, ce qui inclut une majorité (55 %) de ceux qui ont vécu ce genre des problématiques, révèle aussi l’enquête.

Parmi ces mesures, on note généralement un programme d’aide aux employés (PAE). S’il s’agit d’une excellente mesure, ce n’est pas assez, nuance toutefois Camille Lin. « Très souvent, les employeurs disent qu’ils se préoccupent de la santé mentale de leurs employés parce qu’ils ont implanté un PAE, mais ils ne vont pas plus loin. Or, quand on fait cela, on ne s’attaque pas à la source du problème. »

Une multitude de facteurs de risque

Autrement dit, en matière de santé psychologique au travail, l’aide individuelle ne suffit pas, fait-elle valoir. En effet, l’organisation du travail, les pratiques de gestion, les conditions d’emploi et les relations sociales exercent une forte influence sur cet aspect, selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). « Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte, comme le manque d’autonomie et de reconnaissance, l’insécurité par rapport au travail ou la charge de travail élevée, précise la spécialiste. C’est ce qu’on appelle les risques psychosociaux. »

L’exposition à un ou plusieurs de ces facteurs entraîne d’importantes conséquences sur les travailleurs, qui courent alors deux fois plus de risque de souffrir de détresse psychologique, selon les données de l’INSPQ. La probabilité d’un accident vasculaire cérébral est quant à elle multipliée par 1,5. De plus, les travailleurs qui y sont exposés sont de 1,4 à 4 fois plus susceptibles d’être victimes d’un accident de travail.

Pénurie de main-d'œuvre, surcharge de travail et stress : un cocktail dangereux

Des facteurs de risque qui peuvent toucher tous les secteurs d’emploi, y compris le monde du génie, alors que l’enquête de Genium360 démontre que 72 % des professionnels de ce domaine s’estiment en surcharge de travail à cause de la pénurie de main-d’œuvre. Cette rareté occasionne aussi du stress (39 %), un empiétement sur la vie personnelle (33 %) et de l’épuisement (32 %) chez un nombre important de répondants.

Poser le bon diagnostic

Pour améliorer la santé psychologique des travailleurs, il est donc primordial d’intervenir en amont des symptômes, insiste Camille Lin. « Il est toujours possible de mettre en place des actions pour améliorer les pratiques dans l’entreprise. Mais pour cela, il faut que ces actions soient basées sur un diagnostic solide. »  

À ce sujet, des modifications à la Loi sur la santé et la sécurité du travail apportées en 2021 obligeront dorénavant les organisations à mesurer les risques psychosociaux liés au travail et à les inclure dans leur démarche de prévention, rappelle Camille Lin. Une disposition qui devrait entrer en vigueur à partir de 2025.

Encadré : Les principaux risques psychosociaux du travail

  • La charge de travail élevée
  • La faible reconnaissance
  • La faible autonomie au travail
  • Le faible soutien des collègues ou des supérieurs
  • Le manque de communication et d’information
  • Le harcèlement psychologique

Source INSPQ.

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